Au JORF n°0162 du 16 juillet 2015 fut publié un avis de la Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté, Madame Adeline HAZAN.
« Malgré les nombreuses recommandations émises par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté sur la question des soins dispensés aux personnes détenues au sein des établissements de santé de proximité, des difficultés persistent quant aux droits fondamentaux des personnes détenues ; l’importance des atteintes constatées justifie la rédaction d’un avis à l’attention des pouvoirs publics, en ce qu’elles contreviennent, dans la pratique, au principe désormais imposé par la loi d’égalité de soins entre les personnes détenues et l’ensemble de la population. »
Cet avis, visant les établissements hospitaliers généraux, attire particulièrement l’attention en ce qu’il rappelle le nécessaire respect des libertés individuelles et des droits des patients concernant des personnes privées de liberté.
Les mesures d’entrave ou de sécurité doivent ainsi être adaptées (en ce sens individualisées), nécessaires et proportionnées. Elles ne peuvent être systématiques, mais individualisées et évaluées en fonction du comportement de la personne, de son état de santé, … .
Ces trois qualificatifs sont ceux rappelés régulièrement par le Conseil constitutionnel s’agissant de la restriction de liberté d’une personne faisant l’objet de soins psychiatriques.
L’avis souligne par ailleurs le droit au secret médical recommandant ainsi que « les consultations médicales se déroulent hors la présence d’une escorte et que la surveillance soit indirecte (hors de vue et d’oreille du patient détenu) ».
Ci-dessous l’avis
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Avis du 16 juin 2015 relatif à la prise en charge des personnes détenues au sein des établissements de santé
Les patients détenus disposent des mêmes droits d’accès aux soins que tous les autres sous réserve des restrictions liées à la privation de liberté d’aller et venir dont ils font l’objet.
En effet, le préambule de la Constitution de 1946, qui appartient au bloc de constitutionnalité, garantit à tous les citoyens la protection de la santé.
Cette question est d’autant plus importante en milieu carcéral qu’elle se pose d’une manière spécifique, entre une légitime préoccupation de sécurité et l’indispensable respect des droits fondamentaux, dont fait partie intégrante celui du droit à l’accès aux soins.
La loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale et ses textes d’application, dont l’objectif était d’assurer une qualité et une continuité des soins équivalentes à celles offertes à l’ensemble de la population, ont considérablement fait évoluer la prise en charge sanitaire des personnes détenues en permettant le développement d’une politique de santé publique adaptée au milieu pénitentiaire. L’organisation et la mise en œuvre de la prise en charge sanitaire ont ainsi été transférées au service public hospitalier.
Ce principe a été réaffirmé par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dans son article 46 qui dispose que « La qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la population ».
Par ailleurs, l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales impose aux Etats de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté, notamment par l’administration des soins médicaux requis.
Les soins aux personnes détenues sont pour la plupart réalisés au sein de la structure implantée dans l’établissement pénitentiaire dite unité sanitaire.
Faute d’un nombre suffisant de spécialistes au sein des établissements pénitentiaires, le recours à des consultations médicales dans des établissements de santé de proximité s’avère indispensable, nécessitant alors des extractions médicales effectuées par des escortes pénitentiaires.
Conformément aux dispositions prévues aux articles R. 6112-26 du code de la santé publique et D. 391 du code de procédure pénale, les personnes détenues sont hospitalisées au sein de l’établissement de santé de proximité (dont la désignation est assurée par la direction générale de l’agence régionale de santé) lorsque l’hospitalisation présente un caractère d’urgence ou de très courte durée (inférieure ou égale à quarante-huit heures), dans des chambres dites sécurisées. Dans les autres cas, pour les hospitalisations de longue durée, les personnes détenues sont prises en charge au sein des unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI), dont la liste est fixée par l’arrêté interministériel du 24 août 2000 relatif à la création de huit UHSI. En dépit des difficultés observées et des efforts restant à accomplir, on constate une amélioration des soins offerts aux personnes détenues depuis la création de ces nouveaux dispositifs.
Malgré les nombreuses recommandations émises par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté sur la question des soins dispensés aux personnes détenues au sein des établissements de santé de proximité, des difficultés persistent quant aux droits fondamentaux des personnes détenues ; l’importance des atteintes constatées justifie la rédaction d’un avis à l’attention des pouvoirs publics, en ce qu’elles contreviennent, dans la pratique, au principe désormais imposé par la loi d’égalité de soins entre les personnes détenues et l’ensemble de la population.
En application de l’article 10 de la loi du 30 octobre 2007 modifiée, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté émet les recommandations suivantes. Elles sont été préalablement communiquées à la garde des sceaux et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Leurs réponses sont publiées à la suite du présent avis.
Le recours aux extractions médicales
Un nombre trop important d’extractions médicales
Ainsi que cela a déjà été évoqué dans le propos introductif, le faible nombre de spécialistes intervenant en détention (sur ce point, il est renvoyé au chapitre 5 Privation de liberté et accès aux soins du rapport d’activité 2012 du contrôle général) implique le recours aux consultations spécialisées dans le cadre d’extractions médicales dont l’accompagnement est assuré par une escorte pénitentiaire, hors de l’unité sanitaire, auprès des établissements de santé de rattachement.
Sur ce premier point, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté préconise, tout d’abord, le renforcement de la présence de spécialistes au sein des unités sanitaires afin de limiter le recours aux extractions médicales ; mais aussi, une réflexion au sein de chaque établissement pénitentiaire entre les différents services concernés (direction, service pénitentiaire d’insertion et de probation, unité sanitaire et services de l’application des peines) afin que les personnes détenues remplissant les conditions légales puissent bénéficier de permissions de sortir pour se rendre seules dans un établissement de santé et y bénéficier de consultations médicales.
Une telle initiative a été prise dans un établissement pénitentiaire de la région des Pays de la Loire où, compte tenu de la proximité de l’hôpital, de nombreuses personnes condamnées peuvent bénéficier de permissions de sortir accordées par le juge de l’application des peines afin de se rendre aux consultations médicales. Ainsi, en 2014, pour 207 consultations ou hospitalisations, il y a eu 154 escortes et 47 permissions de sortie.
Les personnes détenues souffrant de pathologies lourdes devraient pouvoir bénéficier d’un protocole individuel de prise en charge lorsque leur état de santé nécessite de nombreuses extractions médicales, indépendamment de la possibilité d’octroi d’une suspension de peine pour raison médicale selon la réglementation en vigueur (article 720-1-1 du code de procédure pénale).
On observe que de nombreuses extractions médicales sont annulées et reportées en raison de l’indisponibilité des escortes pénitentiaires pour différents motifs (manque d’effectifs, urgence nécessitant une extraction, plan Vigipirate, etc.).
Une réflexion interministérielle santé-justice-intérieur doit être rapidement engagée en vue de l’amélioration de la réalisation des extractions médicales. A ce titre, le nombre d’extractions médicales pouvant être réalisées par jour dans chacun des établissements pénitentiaires devrait être évalué aux fins de définition d’une organisation et de moyens propres à assurer les extractions médicales. Par ailleurs, la création d’une ou plusieurs équipes d’escortes dédiées devrait être envisagée au sein de chaque établissement pénitentiaire.
Un développement insuffisant de la télémédecine, dispositif de nature à permettre un accès rapide et de qualité aux médecins spécialistes
Selon la définition prévue à l’article L. 6316-1 du code de la santé publique, la télémédecine est une « forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication. Elle met en rapport, entre eux ou avec un patient, un ou plusieurs professionnels de santé parmi lesquels figurent nécessairement un professionnel médical et, le cas échéant, d’autres professionnels apportant leurs soins aux patients ». L’objectif de la télémédecine en milieu carcéral est d’améliorer la prise en charge des personnes détenues via un accès plus large et plus rapide aux médecins spécialistes et de permettre une diminution du nombre d’extractions médicales.
Deux expériences pilotes ont été menées à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy en Ile-de-France et au centre pénitentiaire de Lannemezan en Midi-Pyrénées. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté s’est particulièrement intéressé à l’expérience pionnière de télémédecine menée à l’unité sanitaire de Bois-d’Arcy dans le cadre de trois spécialités : dermatologie, ophtalmologie et orthopédie. Des conventions sont conclues entre l’unité sanitaire et le centre de référence ou l’établissement de santé.
Le consentement de la personne détenue est obligatoire ; dans le cas d’un refus opposé par le patient, une extraction médicale classique est organisée. Le médecin de l’unité sanitaire constitue un dossier, effectue les clichés nécessaires et les adresse à l’établissement de référence par voie électronique sécurisée aux fins de diagnostic. Le spécialiste a la possibilité de solliciter des examens complémentaires, voire une extraction médicale.
A titre d’exemple, 109 consultations en dermatologie ont été réalisées en 2013 et 98 en 2014 via la télémédecine. Selon les chiffres de la direction générale de l’offre des soins, le taux d’extractions médicales pour la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy est de 29 % des personnes détenues alors qu’il est de 34 % pour la moyenne des maisons d’arrêt d’Ile-de-France. Néanmoins, la mise en place récente de la télémédecine au sein de cet établissement – effective en 2013 – ne permet pas d’avoir le recul nécessaire pour mesurer son impact sur une éventuelle diminution du recours aux extractions médicales.
Par ailleurs, le personnel médical a exprimé des craintes auprès du contrôle général sur l’absence de grilles de codification des actes médicaux réalisés et d’informations relatives aux modalités d’attribution des crédits de financement et de maintenance (des crédits exceptionnels étant jusqu’à présents attribués par l’agence régionale de santé). Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté considère que des moyens doivent être alloués aux fins d’assurer la pérennité de la télémédecine.
Le plan d’actions stratégiques 2010-2014 de la politique de santé pour les personnes placées sous main de justice prévoit l’établissement d’un diagnostic des pratiques de télémédecine déjà existantes dans les unités de soins des établissements pénitentiaires ainsi que la mise en place d’un programme de déploiement de la télémédecine au sein des structures de soins. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté demeure attentif aux résultats de l’évaluation de l’usage de la télémédecine au regard d’une prise en charge rapide et de qualité des personnes détenues.
Les modalités des extractions médicales
Conformément aux prescriptions de la note de la direction de l’administration pénitentiaire du 29 avril 2014 relative à la prévention et à la gestion des incidents, un niveau d’escorte est défini pour chaque personne détenue, et permet de déterminer le niveau de sécurité à appliquer dans la composition de l’escorte, ainsi que les moyens de contrainte imposés à la personne. Ces niveaux d’escorte (classés de 1 à 4) sont définis par la commission pluridisciplinaire unique (dite CPU) et réévalués par le chef d’escorte à chaque extraction. Ainsi, le niveau 1 est appliqué aux personnes détenues présentant « un comportement correct en détention et/ou une date de libération proche et/ou bénéficiaire de permissions de sortir » tandis que le niveau 4 l’est aux personnes détenues « pour lesquelles un dispositif particulier est mis en œuvre en étroite collaboration avec les service de la préfecture et des forces de sécurité intérieure pour chaque sortie de l’établissement pénitentiaire de l’intéressé ». La fiche de motivation des moyens de contrainte – grille d’analyse destinée à évaluer la situation d’une personne détenue, son risque d’évasion, d’agression et autres troubles à l’ordre public en cochant les différents niveaux (faible, moyen et élevé) – a été mis en place dans un objectif d’individualisation des moyens de contrainte. Néanmoins, ce dispositif est insuffisant pour permettre une motivation circonstanciée du recours aux moyens de contrainte. Par ailleurs, dans les faits, les personnes détenues sont quasi-systématiquement menottées. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté rappelle que l’évaluation du niveau de sécurité à mettre en œuvre lors d’une extraction médicale doit être individualisée et évaluée au regard du comportement de la personne détenue, de sa personnalité, de sa situation pénale et de son état de santé.
Compte tenu de la configuration des véhicules d’escorte, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté considère qu’une sensibilisation des personnels et des prescripteurs concernés sur le recours aux véhicules sanitaires légers serait de nature à améliorer les conditions de transport et de prise en charge des personnes détenues à l’état de santé fragile.
Que ce soit à l’occasion des visites d’établissements ou des témoignages reçus dans le cadre des saisines, on constate que, pour une grande partie d’entre elles, les personnes détenues sont menottées et entravées lors du transfert vers l’établissement de santé mais également durant les consultations médicales ou les examens et parfois même pendant les interventions chirurgicales (des liens souples en plastique appelés serflex® remplacent alors les menottes). En outre, les personnels de l’escorte demeurent présents, au mépris du secret médical et de l’intimité de la personne détenue.
Plusieurs femmes détenues ont témoigné des conditions dans lesquelles se sont déroulées leurs extractions médicales en vue de consultations gynécologiques : présence d’un personnel de surveillance féminin et/ou port de moyens de contrainte. Attentif au respect du droit à la dignité des femmes détenues, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a souhaité rappeler à la direction de l’administration pénitentiaire, courant décembre 2014, la nécessité de respecter strictement les dispositions prévues à l’article 52 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 selon lesquelles « tout accouchement ou examen gynécologique doit se dérouler sans entraves et hors la présence du personnel pénitentiaire, afin de garantir le droit au respect de la dignité des femmes détenues ». Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté recommande que les directives qui seront prochainement émises par l’administration pénitentiaire à ce sujet respectent de manière stricte les dispositions légales précitées et du droit intangible à la dignité des femmes détenues.
Dans sa Recommandation n° R (98) 7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, le Conseil de l’Europe considère que « le secret médical devrait être garanti et observé avec la même rigueur que dans la population générale ».
Dans ses rapports de 1996, 2000 et 2005, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a dénoncé les conditions dans lesquelles la surveillance des patients détenus est réalisée au sein des établissements de santé et émis des recommandations dans les termes suivants : « De l’avis du CPT, la présence des membres des forces de l’ordre pendant les consultations médicales en milieu hospitalier ou pendant l’administration des soins aux patients hospitalisés n’est pas conforme à l’éthique médicale. […] Le CPT recommande aux autorités françaises de veiller à ce que toute consultation médicale de même que tous les examens et soins médicaux effectués dans des établissements hospitaliers civils se fassent hors l’écoute et, sauf demande contraire du personnel médical soignant relative à un détenu particulier, hors la vue des membres des forces de l’ordre […] ».
Dans la continuité des réflexions déjà engagées dans le rapport d’activité 2012, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté préconise que la responsabilité de l’escorte ne soit plus engagée à l’aune du risque encouru, à savoir l’évasion, mais au regard des moyens employés pour l’éviter ; et qu’en conséquence, les personnels chargés des escortes ne soient plus soumis à une obligation de résultats mais à une obligation de moyens. Il recommande donc à nouveau que les moyens de contraintes imposés aux personnes soient strictement proportionnés au risque présenté par ces dernières.
Enfin, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté rappelle sa prise de position émise dans le rapport d’activité 2012 s’agissant de l’article 52 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 précité selon laquelle cette disposition emporte deux conséquences implicites : elle signifie que si on ne peut mettre d’entraves, les menottes (1) sont possibles ; mais surtout que, pour tous les autres examens ou interventions chirurgicales, menottes, entraves et présence des surveillants sont licites, alors que l’article 45 de la même loi précise que « l’administration pénitentiaire respecte le droit au secret médical […] ainsi que le secret de la consultation ». Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté réitère également sa proposition de modification législative de l’article 52 actuel par la disposition suivante : « Le respect des secrets de l’article 45 et de la dignité fait obstacle au port de menottes, d’entraves et à la présence du personnel pénitentiaire lors des soins de toute nature dispensés aux personnes détenues. La sécurité nécessaire est assurée par d’autres moyens ».
La nécessaire préservation du secret médical
L’article 45 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose que « l’administration pénitentiaire respecte le droit au secret médical des personnes détenues ainsi que le secret de la consultation, dans le respect des troisième et quatrième alinéas de l’article L. 6141-5 du code de la santé publique ». L’article D. 397 du code de procédure pénale précise quant à lui que des mesures de sécurité adéquates doivent être prises dans le respect de la confidentialité des soins lors des hospitalisations, consultations ou examens.
Il va de soi que la présence des personnels de l’escorte ne permet pas d’assurer la nécessaire préservation du secret médical. Les visites des établissements ont été l’occasion de mesurer les attitudes variables des médecins dans leur pratique avec les patients détenus au regard du respect du secret médical. Alors que certains ne s’émeuvent pas de la présence des agents de l’escorte ou de moyens de contrainte, ou encore acceptent ces mesures de sécurité au motif que l’agent est soumis au secret professionnel ou du fait de la dangerosité potentielle de leur patient détenu, d’autres exigent de rester seuls avec leurs patients détenus, prenant alors le risque d’une annulation de la consultation médicale ou de son report sine die en cas de refus du chef d’escorte.
Le CGLPL rappelle que le respect du secret médical est un droit pour le patient. En application de l’article R. 4127-4 du code de la santé publique, il constitue un devoir absolu pour le médecin, auquel il s’impose. Le CGLPL préconise qu’un rappel des obligations légales et déontologiques soit effectué en ce sens auprès des médecins. Par conséquent, le CGLPL recommande que les consultations médicales se déroulent hors la présence d’une escorte et que la surveillance soit indirecte (hors de vue et d’oreille du patient détenu).
En tout état de cause, il revient aux agents des escortes de faire preuve de la plus grande discrétion quant aux informations médicales auxquelles ils pourraient avoir accès dans l’exercice de leurs missions.
Une insuffisante qualité de l’accueil des patients détenus dans l’organisation des soins
Les contrôleurs ont souvent constaté dans les établissements de santé de proximité l’absence de circuit dédié permettant d’éviter le contact avec le public et de créneaux horaires réservés aux personnes détenues en début de consultation. Ces mesures seraient pourtant de nature à faciliter l’organisation de conditions d’accueil discrètes et à permettre de réduire les temps d’attente des personnes détenues et de l’escorte pénitentiaire au sein de l’hôpital.
Lors de vérifications sur place relatives aux extractions médicales, il a été constaté, par exemple, qu’au centre hospitalier de Bayonne, un chemin dédié pour accéder aux consultations permet de limiter sensiblement les rencontres des patients détenus avec les autres patients. Ainsi, les personnels chargés des extractions indiquent que des efforts ont été entrepris par les services de l’hôpital pour faciliter leur accès et que les personnes détenues font désormais l’objet d’une prise en charge rapide et de meilleure qualité.
La Cour européenne des droits de l’homme rappelle, dans une jurisprudence constante, que les personnes menottées ne doivent pas être soumises à « l’exposition publique, au-delà de ce qui est raisonnablement considéré comme nécessaire ». Ainsi qu’il l’a déjà énoncé dans son rapport d’activité 2010, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté rappelle la nécessité de prévoir des procédures d’accueil et des lieux dédiés dans les hôpitaux de rattachement des unités sanitaires pour les consultations des personnes détenues et ce, pour deux raisons principales : d’une part, pour ne pas exposer les personnes sous escorte à la vue du public regroupé dans les salles d’attente (conformément aux dispositions de l’article 803 du code de procédure pénale) et, d’autre part, pour mettre fin chez les professionnels de santé à un sentiment d’insécurité justifiant des demandes de surveillance constante incompatibles avec le respect du secret médical.
Une implantation et un aménagement des chambres sécurisées non conformes à la logique de soins
L’implantation des chambres sécurisées n’est pas toujours le fruit d’un choix et d’une réflexion sur la pratique des soins. Afin de préserver la qualité des soins, la sécurité des personnels et la dignité des personnes détenues, il importe au contraire de prévoir des aménagements au sein de l’hôpital de proximité, d’implanter les chambres sécurisées dans un service où l’équipe soignante est volontaire et préparée à l’accueil, afin d’assurer aux personnes détenues les soins de courte durée. L’adhésion du personnel est en effet indispensable, tant en ce qui concerne les conditions de travail que la qualité de la prise en charge des personnes détenues. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté considère que l’implantation des chambres sécurisées au sein de l’hôpital nécessite d’impliquer les professionnels concernés dans l’élaboration et le fonctionnement du projet et de prendre en considération en priorité l’accord du service concerné.
L’aménagement intérieur des chambres sécurisées est défini par un cahier des charges joint à la circulaire de la direction de l’administration pénitentiaire du 13 mars 2006 relative à l’aménagement ou à la création de chambres sécurisées pour les personnes détenues.
Or, il est apparu que les chambres sécurisées peuvent être également utilisées pour les personnes gardées à vue ou placées en rétention administrative sans que leurs modalités d’hospitalisation ne soient encadrées par un texte réglementaire. La rédaction d’une circulaire interministérielle s’avère nécessaire et devrait permettre de combler ce vide juridique.
Les visites des chambres sécurisées sont l’occasion pour le contrôle général de mesurer leur taux d’occupation. Si les constats effectués sont hétérogènes d’un établissement à un autre, la relativement faible utilisation des chambres sécurisées doit être soulignée. Une réflexion interministérielle devrait être engagée quant à l’articulation des hospitalisations au sein des chambres sécurisées et de l’unité hospitalière sécurité interrégionale (UHSI).
Par ailleurs, l’aménagement et l’équipement de ces chambres répondent trop souvent à de seuls critères de sécurité et ressemblent alors davantage à un lieu de détention qu’à un lieu de soins. A titre d’exemple, dans un centre hospitalier du Sud de la France, outre l’existence de barreaudage aux fenêtres, la cloison séparative du sas entre la circulation de l’unité de soins et la chambre sécurisée est semblable à une grille permettant de pénétrer en détention. Dans un autre établissement du Centre de la France, le bouton d’appel, placé au bout d’une cordelette, est retiré aux personnes détenues hospitalisées pour des raisons de sécurité ; le patient détenu ne peut donc prévenir l’équipe médicale en cas d’urgence, seul le système d’interphonie et de vidéosurveillance permettant, le cas échéant, de contrôler l’état de la personne. Dans les chambres sécurisées du centre hospitalier de Mulhouse, du métal déployé recouvre entièrement l’ouverture de la baie vitrée. Il a par ailleurs été observé la faible présence, voire l’absence totale d’ameublement. Un placard doit systématiquement être mis à la disposition du patient détenu pour qu’il puisse y ranger ses effets personnels.
Dans certains établissements, la configuration des locaux sanitaires ne permet pas le respect de l’intimité des patients : absence de rideaux isolant les sanitaires du reste de la chambre, portes laissées ouvertes en permanence.
Les forces de police doivent se tenir en retrait afin que la confidentialité des soins médicaux soit préservée et qu’il n’existe aucune possibilité d’observer l’intérieur de la chambre. La confidentialité des échanges entre les soignants et le patient détenu doit absolument être préservée au titre du respect du secret médical. Enfin, le droit à l’intimité du patient doit être respecté.
Des conditions d’hospitalisation dans les chambres sécurisées plus restrictives des droits fondamentaux que les conditions de détention
De nombreuses personnes détenues renoncent aux soins en raison des conditions d’hospitalisation dans les chambres sécurisées. Cette réalité appelle plusieurs précisions.
La personne détenue admise dans une chambre sécurisée demeure un patient et doit donc bénéficier à la fois des droits garantis aux personnes détenues et de ceux octroyés aux patients. A ce titre, il convient de repenser la prise en charge des personnes détenues au sein des chambres sécurisées dans une optique sanitaire et non plus seulement sécuritaire, en conformité avec le respect des droits fondamentaux des personnes.
En amont de l’hospitalisation au sein des chambres sécurisées, des informations sur les conditions matérielles d’hospitalisation doivent être délivrées au patient détenu. Ainsi, la liste des effets personnels autorisés et des objets interdits devrait être utilement communiquée.
Dès leur arrivée dans les chambres sécurisées, les patients détenus doivent se voir remettre un livret d’accueil relatif aux règles propres aux modalités d’hospitalisation dans les chambres sécurisées ainsi qu’aux droits afférents. La rédaction d’un règlement intérieur spécifique aux chambres sécurisées s’impose.
Conformément à la circulaire du 13 mars 2006 précitée, la responsabilité médicale de la prise en charge de la personne détenue incombe à un praticien de l’unité d’hospitalisation dans laquelle elle est intégrée et qui fait appel, en tant que de besoin, à l’intervention de médecins d’autres spécialités. Corollairement, il est indispensable que ce même praticien désigné soit responsable de tous les aspects de la prise en charge du patient et du strict respect de ses droits même si son suivi médical est assuré par un autre médecin.
Plusieurs catégories de droits fondamentaux sont en cause.
En premier lieu, le droit fondamental au maintien des liens familiaux n’est pas respecté. Ainsi, l’accès au téléphone – pourtant consacré par l’article 39 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 – n’est pas effectif en raison de l’absence de poste téléphonique au sein des chambres sécurisées et de l’impossibilité de contrôler les conversations téléphoniques. Les patients détenus ne peuvent pas recevoir les visites de leurs proches et de leur conseil, quelque soit leur statut pénal et même si ces visiteurs sont titulaires de permis de visite. Au surplus, la grande majorité des établissements n’offre pas la possibilité de recevoir ou d’envoyer du courrier ; aucun nécessaire de correspondance n’est remis et ce, en totale contradiction avec les dispositions prévues à l’article 40 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 selon lesquelles les personnes détenues peuvent correspondre par écrit avec toute personne de leur choix. Les visites, les correspondances et les appels téléphoniques doivent être autorisés selon les mêmes règles que celles applicables au sein des établissements pénitentiaires (contrôle des correspondances, possibilités d’écoute des communications téléphoniques, listes de numéros autorisés et nécessité d’obtention d’un permis de visite). Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté recommande la rédaction de protocoles relatifs aux modalités d’organisation des relations avec l’extérieur pour les patients détenus.
En second lieu, dans la quasi-totalité des chambres sécurisées, les patients détenus n’ont pas accès à un poste de télévision ni à la radio. Ils ne disposent pas non plus d’un espace extérieur permettant de s’aérer et, le cas échéant, de fumer. De plus, ils ne bénéficient d’aucune activité et n’ont, par exemple, pas accès à des journaux ou des livres. L’absence de télévision dans les chambres pour des raisons de sécurité n’est pas justifiée d’autant que l’abonnement mensuel est pris en charge par la personne détenue dans son établissement pénitentiaire d’affectation. Un téléviseur devrait être installé dans chaque chambre sécurisée et des journaux mis à la disposition des patients détenus.
Enfin, les comportements observés de la part de certains agents chargés de la garde statique sont souvent contraires à la déontologie (bruit, propos déplacés, etc.). Le sommeil et le repos des patients détenus ne sont pas suffisamment respectés.
Des développements ci-dessus il résulte que le nombre d’extractions de personnes détenues aux fins de transfert dans des établissements de santé de proximité s’avère trop important et qu’il pourrait utilement diminuer par un recours accru à la pratique de la télémédecine ou par l’adoption de mesures propres à encourager le déplacement des spécialistes dans les établissements pénitentiaires.
Les modalités de ces extractions, tout comme les conditions de prise en charge au sein des chambres sécurisées sont également insatisfaisantes, la logique de sécurité prévalant trop souvent sur la logique de soins.
En conséquence, les conditions d’hospitalisation sont, de fait, plus restrictives des droits fondamentaux que les conditions de détention au regard du droit à la dignité, du droit au maintien des liens familiaux et du droit au secret médical des personnes détenues. Il est nécessaire à cet égard de rappeler que le secret médical est une obligation pour le médecin et un droit pour le patient détenu.
Des modifications de la prise en charge des personnes détenues sont indispensables, afin que le principe d’égalité des soins, posé par l’article 46 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, soit effectif et respecté.
- Annexe
Vous pouvez consulter l’image dans le fac-similé du JOnº 0162 du 16/07/2015, texte nº 148
Christiane TAUBIRA
- Hazan
(1) Les menottes et les entraves sont des moyens de contrainte imposés aux personnes détenues ; elles constituent des bracelets métalliques reliés par une chaîne mis aux poignets des personnes détenues pour les premières, et aux chevilles pour les secondes.
Valériane DUJARDIN – LASCAUX
Juriste, EPSM Lille Métropole