Au JORF n°0031 du 6 février 2020 a été publié l’avis du 12 décembre 2019 relatif à l’accès à internet dans les lieux de privation de liberté.
La Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté rappelle le caractère ADAPTÉE, NÉCESSAIRE et PROPORTIONNÉE d’une mesure restrictive de liberté pour les personnes hospitalisées dans un établissement de santé mentale.
Le premier alinéa de l’article L.3211-3 du Code de la santé publique dispose clairement :
» Lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux fait l’objet de soins psychiatriques en application des dispositions des chapitres II (Soins à la Demande d’un Tiers) et III (Soins à la demande du Représentant de l’État) du présent titre (Modalités de Soins Psychiatriques) ou est transportée en vue de ces soins, les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis. En toutes circonstances, la dignité de la personne doit être respectée et sa réinsertion recherchée. (…) ».
Il ne peut y avoir d’interdictions, de restrictions générales et absolues posées, TOUTE décision restrictive à l’exercice d’une liberté doit être MOTIVÉE devant être appréciée in concreto, selon l’état de santé de la personne.
Extrait de l’avis concernant les établissements de santé mentale
« Le droit d’accès à internet ne figure pas expressément parmi les droits intangibles du patient identifiés par l’article L. 3211-3 du code de la santé publique (CSP). Il s’ensuit que les restrictions dont il peut faire l’objet doivent répondre aux exigences posées au premier alinéa de cet article, et être « adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis ». Il résulte de cette disposition que l’accès à internet d’un patient admis en soins psychiatriques sans son consentement ne saurait être restreint qu’en vertu d’une prescription médicale individualisée, motivée, circonstanciée et réévaluée au regard de l’évolution clinique de l’intéressé.
Le contrôle de l’administration sur l’activité numérique et en ligne des personnes privées de liberté et le contenu des documents concernés ne saurait excéder celui qui s’exerce d’ores-et-déjà sur les correspondances écrites et les autres modalités d’échanges avec l’extérieur. En effet, le contrôle des activités ou des données doit être strictement limité aux objectifs visés et au profil des utilisateurs ; il doit donc être justifié, individualisé et tracé. Le droit à la vie privée (dont découle le droit à la protection des données personnelles) et la liberté d’expression et d’opinion doivent être préservés. Leur exercice ne peut être limité que par des nécessités individualisées de sécurité, d’ordre public ou de protection des mineurs au sein des établissements concernés. »
Ci-dessous l’avis en son intégralité.
Valériane DUJARDIN – LASCAUX
Juriste, EPSM Lille Métropole
Avis du 12 décembre 2019 relatif à l’accès à internet dans les lieux de privation de liberté
Notre société a fait du numérique un outil indispensable de l’accès au savoir et a imposé l’utilisation d’internet pour la réalisation de nombreuses démarches. Ce vecteur essentiel d’autonomisation et de communication ne peut être ignoré par ceux qui ont autorité sur le fonctionnement et l’organisation des lieux de privation de liberté.
Dans le contexte de la dématérialisation de l’intégralité des services publics à l’horizon 2022 initiée par la France, l’accès à internet, la formation de la population enfermée à ses usages et son accompagnement dans son utilisation doivent être considérés comme prioritaires, afin de ne pas priver cette population de l’exercice effectif de ses droits.
En effet, l’exercice de nombreux droits et libertés fondamentaux est aujourd’hui entravé par l’insuffisante prise en compte de la nécessité de garantir au citoyen enfermé un accès aux technologies numériques et à internet. Parmi les plus emblématiques figurent la liberté d’expression, protégée par les articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et considérée par le Conseil constitutionnel comme impliquant la liberté d’accéder aux « services de communication au public en ligne » (1), le droit à l’instruction, sur le fondement duquel la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a récemment condamné la Turquie (2), mais également le droit d’une personne détenue à la préparation de son retour au sein de la société, garanti par l’article 2 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (3).
Si la jurisprudence de la CEDH n’a pas, à ce jour, consacré de droit fondamental à un accès à internet, notamment par les décisions qu’elle a prises concernant les établissements pénitentiaires (4), il n’en demeure pas moins qu’internet est devenu, au fil du temps et de manière particulièrement sensible dans les lieux de privation de liberté, une modalité incontournable de l’exercice effectif de nombreux droits fondamentaux.
La privation de liberté, au sens de l’article 5§1 de la Convention européenne des droits de l’homme (5), implique pour une personne d’être captive dans un certain espace restreint pendant une durée fixée par une autorité judiciaire ou administrative. La mesure privative de liberté peut entraîner la restriction de certains droits dans la mesure où l’ingérence ou la limitation de ces droits est prévue par la loi et « est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui » (6). Les atteintes aux droits justifiées par les impératifs de sécurité et d’ordre public ne peuvent cependant être illimitées, et il incombe à l’administration de rechercher un juste équilibre entre les objectifs d’ordre public poursuivis et le respect des droits des personnes privées de liberté qui, si elles ne disposent pas de la liberté d’aller-et-venir pour faire personnellement valoir leurs droits, ont vocation à retrouver leur liberté de mouvement et de circulation à brève ou longue échéance.
Les enjeux liés à l’accès à internet dans les lieux de privation de liberté sont multiples, tant pour l’accès à l’information et à la formation et le maintien des liens avec l’extérieur que pour la préparation à la sortie et la réinsertion. Si aucune base légale ne permet de priver les personnes enfermées de tout accès à internet, le CGLPL constate néanmoins que, selon les lieux de privation de liberté concernés et leurs spécificités, notamment au regard du public qu’ils accueillent, les modalités d’accès sont diverses et les limitations fréquentes. Par ailleurs, si cet accès doit être favorisé, il convient de prêter une attention particulière à l’accompagnement humain, à la lutte contre l’isolement et au respect de la vie privée numérique des personnes privées de liberté.
- Un accès à internet indispensable au respect des droits et libertés fondamentaux
L’impact de la transition vers une société numérique sur les droits des personnes privées de liberté pour lesquelles aucun accès à internet n’a été aménagé est régulièrement relevé par le CGLPL. En témoigne cet extrait d’une réponse aux vérifications effectuées par le CGLPL auprès de l’autorité concernée quant aux difficultés rencontrées par une personne détenue pour renouveler son permis de conduire, égaré par l’administration lors d’un transfert : « [Le permis de conduire de M. X.] a été refait aux frais de l’administration pénitentiaire mais une erreur a été commise dans l’orthographe du nom de famille. Dès lors, de multiples démarches ont été entamées auprès de la préfecture […]. Or, la préfecture a indiqué qu’il n’était pas possible d’effectuer cette démarche au guichet […] M. X a alors été informé que les démarches entreprises au sujet de son permis de conduire devaient s’effectuer en ligne. Cela ne pouvant se faire depuis la détention, M. X a été destinataire, pour information, d’une copie des données du site internet « www.service-public.fr » relatives aux démarches à suivre […] ». Il a finalement pu autoriser son visiteur de prison à accomplir en son nom les démarches nécessaires au renouvellement de son permis de conduire.
De la situation de dépendance des personnes privées de liberté vis-à-vis des autorités administratives auxquelles elles sont confiées résulte, pour les secondes, l’obligation d’organiser, au bénéfice des premières, les modalités d’exercice de leurs droits. Certaines démarches sont rendues laborieuses, voire impossibles, du fait de l’absence d’accès des personnes concernées aux services en ligne, et notamment à l’information qui y est disponible. La nécessité de passer par le truchement de tiers ou de professionnels pour accéder à l’information, accomplir des formalités administratives, maintenir des contacts, complexifie les démarches et dépossède les personnes privées de liberté de leur autonomie au regard de l’état d’avancement de ces opérations et du temps nécessaire pour les effectuer, qui dépendent entièrement de la disponibilité et la bonne volonté des tiers.
De nombreux droits des personnes privées de liberté sont dès lors affectés par cette médiation imposée.
La préparation de leur défense (exercice d’un recours contre la mesure privative de liberté, le régime d’enfermement ou toute mesure qu’elles estiment porter atteinte à leurs droits fondamentaux), au même titre que l’exercice de droits qui ne sont pas en principe limités par leur situation de privation de liberté (droit de propriété, droit de la consommation, exercice de l’autorité parentale, etc.), impliquent un accès à des services d’assistance juridique (avocats, associations de défense, etc.), à des modalités de dépôt de requêtes en ligne (comme le service Télérecours citoyens pour le contentieux administratif) et à l’information juridique (dispositions légales et réglementaires, formulaires, etc.).
L’exercice effectif du droit au maintien des liens avec l’extérieur implique de pouvoir communiquer par le biais de courriers électroniques ou d’effectuer des appels audio et vidéo via internet, qui diminuent les délais et les coûts de communication, mettant ainsi les personnes privées de liberté, notamment étrangères, davantage en mesure de conserver des liens avec leur environnement familial, social et culturel.
L’acquisition d’une adresse électronique, de moyens de paiement en ligne ou encore de coffres-forts numériques (7) sont par ailleurs devenus incontournables pour effectuer certaines démarches administratives dématérialisées (8), ainsi que le souligne le Défenseur des droits dans son rapport intitulé Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics publié en janvier 2019. Dans ces conditions, un accès à des outils de numérisation et d’impression (scanners, imprimantes, etc.) doit être aménagé dans tous les lieux de privation de liberté.
Au regard du droit à l’éducation, qui comprend le droit à la formation professionnelle et aux enseignements secondaires et supérieurs, il est nécessaire que les intervenants de l’éducation nationale ou de tout autre organisme de formation ou d’enseignement qui exercent dans les lieux de privation de liberté, à l’attention des mineurs aussi bien que des majeurs, aient accès aux outils adéquats, autrement dit à des terminaux en nombre suffisant et connectés à internet, pour assurer pleinement leur mission. Les personnes privées de liberté qui souhaitent, de manière autonome, bénéficier d’une formation à l’informatique, à internet ou à tout autre enseignement dispensé à distance ou nécessitant la recherche et la consultation d’informations en ligne, doivent également pouvoir accéder au matériel connecté approprié.
La transformation numérique du travail (travail à distance notamment) pourrait utilement s’étendre aux lieux de privation de liberté au vu de la faible offre d’activités professionnelles accessible dans ces lieux, des fortes contraintes inhérentes à la situation d’enfermement et des besoins financiers importants (charges de famille, frais internes et externes, condamnations pécuniaires, etc.) d’une population au capital économique souvent faible. Dans cette perspective, les populations captives doivent pouvoir accéder à des formations leur permettant de développer et d’acquérir des compétences liées à l’informatique et au numérique, en vue de travailler en captivité et de bénéficier des nombreux débouchés professionnels offerts par la maîtrise de ces technologies.
L’objectif de réinsertion implique en effet que la fracture entre « l’intérieur » et « l’extérieur » soit limitée autant que possible et que des démarches puisent être initiées depuis les lieux de privation de liberté, en favorisant l’autonomie des personnes concernées et en accompagnant les plus démunies vers l’acquisition de leur indépendance, en vue de leur retour dans la société. Les personnes privées de liberté doivent ainsi être mises en mesure d’entrer en relation avec des institutions et organismes extérieurs (structures d’hébergement, établissements de santé, organismes intervenant dans le domaine du travail et de la formation, etc.), d’ouvrir leurs droits ou encore d’effectuer des formalités administratives, afin d’anticiper le rétablissement de certains de leurs droits et d’éviter un délai de carence préjudiciable à leur réinsertion.
- L’accès à internet au regard des spécificités des lieux ou des publics accueillis
Dans les lieux de rétention administrative, ni le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), ni les règlements intérieurs (9) ne prohibent l’accès à internet des personnes retenues, sans pour autant l’autoriser explicitement ou l’organiser concrètement. Néanmoins, une circulaire du 14 juin 2010 (10) relative à l’harmonisation des pratiques dans les centres et les locaux de rétention administrative et lors de l’exécution des escortes, qui fixe les règles quant au retrait ou à l’autorisation de conserver des objets dans les lieux de rétention administrative et contient une liste des « objets autorisés » et des « objets déposés à l’arrivée », inclut dans la première catégorie le « téléphone portable démuni d’appareil photographique » et, dans la seconde, les « appareils informatiques ou électroniques permettant la prise de vue ». Or, la pratique consistant à retirer systématiquement aux personnes retenues les téléphones portables ou autres terminaux équipés d’un appareil photographique (le plus souvent munis d’un accès à internet) n’est pas justifiée par un motif lié à la sécurité des biens et des personnes mais par les dispositions légales et réglementaires relatives à la protection du droit à l’image (11), alors que les sanctions pénales encourues pour atteinte à la vie privée pourraient utilement faire l’objet d’un affichage, en plusieurs langues, au sein des locaux de rétention, en vue de prévenir toute infraction dans ce domaine.
Dans ces conditions, le CGLPL recommande que tous les appareils informatiques ou électroniques soient autorisés en centre de rétention administrative, même ceux permettant la prise de vue. Il recommande également que les zones d’hébergements soient équipées de rangements comportant un dispositif de fermeture afin que chaque personne retenue puisse mettre ses biens en sécurité, qu’il s’agisse de son téléphone ou de tout autre matériel informatique personnel, et en user sans dépendre de la disponibilité des fonctionnaires. Enfin, un accès wifi et une salle équipée de terminaux (ordinateurs, imprimantes, scanners…) connectés à internet doivent être mis à disposition des personnes retenues en vue de faciliter l’exercice de leurs droits (contact avec les avocats, accès à l’information juridique), leurs démarches administratives et personnelles (virements bancaires, résiliation de contrats, transmission de documents), de maintenir leurs liens avec leurs proches, de leur permettre de s’informer utilement ou encore de lutter contre l’ennui et l’oisiveté forcée.
Dans les établissements de santé accueillant des patients hospitalisés sans leur consentement, les pratiques sont très diverses. Certains disposent de salles équipées d’ordinateurs connectés à internet ou de tablettes numériques mises à disposition des patients, d’autres installent un réseau wifi librement accessible dans l’enceinte de l’hôpital, d’autres encore proposent un accès à des ordinateurs connectés dans le seul cadre d’activités ou de manière ponctuelle pour répondre à des besoins identifiés, d’autres enfin prohibent tout accès à des équipements informatiques, qu’ils soient personnels ou collectifs, connectés ou non à internet.
Le droit d’accès à internet ne figure pas expressément parmi les droits intangibles du patient identifiés par l’article L. 3211-3 du code de la santé publique (CSP). Il s’ensuit que les restrictions dont il peut faire l’objet doivent répondre aux exigences posées au premier alinéa de cet article, et être « adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis ». Il résulte de cette disposition que l’accès à internet d’un patient admis en soins psychiatriques sans son consentement ne saurait être restreint qu’en vertu d’une prescription médicale individualisée, motivée, circonstanciée et réévaluée au regard de l’évolution clinique de l’intéressé.
Aussi, le CGLPL recommande qu’un accès à internet soit aménagé dans l’ensemble des centres hospitaliers accueillant des patients admis en soins psychiatriques sans leur consentement, afin de permettre aux patients dont l’état clinique le permet de consulter leur messagerie, de se former ou de s’informer et d’initier des démarches pour préparer leur levée d’hospitalisation, en toute autonomie. De même, les patients doivent pouvoir conserver leurs terminaux mobiles personnels (smartphones, ordinateurs portables, tablettes, etc.). Les seules exceptions doivent relever d’une décision médicale ou du choix du patient concerné. Toutes les chambres doivent être équipées de casiers fermant à clé afin que les patients puissent assurer, de manière autonome, la protection de leurs biens. La présence de professionnels aux côtés des patients lorsqu’ils utilisent leur messagerie électronique, consultent des sites internet ou effectuent des démarches en ligne ne peut être justifiée que par la demande expresse formulée par le patient lui-même ou par un motif thérapeutique. Les établissements de santé doivent par ailleurs aménager un accès wifi pour permettre aux patients d’utiliser leurs terminaux personnels.
En France (12), l’interdiction absolue faite aux personnes détenues d’accéder à internet ne repose sur aucune disposition légale. Une note du 21 mai 2004 intitulée Interdiction faite aux détenus d’accéder à internet et à tout [système d’information (SI)] extérieur a réglementé cet accès, et ce principe a été de nouveau posé par la circulaire de l’administration pénitentiaire du 13 octobre 2009 (13) relative à l’accès à l’informatique pour les personnes placées sous main de justice, puis par le décret du 23 décembre 2010 (14) relatif à l’accès aux publications écrites et audiovisuelles, aux termes duquel les personnes détenues peuvent y accéder « par l’utilisation collective ou individuelle d’équipements informatiques non connectés à des réseaux extérieurs ». Le décret du 30 avril 2013 relatif aux règlements intérieurs types des établissements pénitentiaires abroge et remplace le décret précité sans modifier cette disposition désormais codifiée en annexe de l’article R.57-6-18 du code de procédure pénale.
Toutefois, la circulaire « informatique » du 13 octobre 2009 aménage cette interdiction en rappelant qu’« hormis pour les salles dédiées, notamment les espaces Cyber Base, les connexions à des réseaux externes depuis les salles d’activité sont interdites. Les règles de sécurité suivantes concernent donc les salles d’activités connectées à des réseaux externes ayant reçu une validation de l’état-major de sécurité et du [responsable de la sécurité des systèmes d’information (RSSI)] ». Expérimentées au titre d’une convention signée en 2007 entre le ministère de la justice et la Caisse des dépôts et consignations, les Cyber-bases justice sont des espaces informatiques équipés en réseaux avec un accès limité et contrôlé à internet, dénués néanmoins de possibilité d’interaction directe avec l’extérieur. Sept établissements pénitentiaires (15) ont été désignés pour développer l’expérimentation qui a débuté en 2009. Dix ans après, certaines de ces Cyber-bases ont cessé de fonctionner, notamment en raison d’une maintenance insuffisante ou inadaptée (16). Cet outil, qui avait vocation à « rendre les personnes détenues autonomes dans l’utilisation de l’outil internet et multimédia et de leur permettre d’accéder aux équipements informatiques, au travers d’ateliers collectifs, d’accompagnement individuel ou d’accès encadré » (17), n’a par ailleurs jamais été déployé dans d’autres établissements.
Un nouveau projet, appelé Numérique en détention (NED), est actuellement expérimenté par l’administration pénitentiaire et vise à « dématérialiser certains processus de gestion internes » (18). Ce portail, accessible en cellule, dans des salles d’activité ou dans les coursives, devrait permettre aux personnes incarcérées de procéder à des commandes en cantine (achat de nourriture et de biens d’usage courant), de consulter le solde de leur compte nominatif, de formuler des requêtes auprès des différents services de l’établissement ou encore d’avoir accès à un environnement numérique de travail cependant limité à quelques enseignements et formations et sans accès à internet.
Le CGLPL réitère les recommandations formulées dans son avis du 20 juin 2011 relatif à l’accès à l’informatique des personnes détenues, aux termes desquelles « dans les locaux partagés, dans lesquels se tient un tiers (formateur, enseignant…) et/ou un personnel de l’administration, les matériels et les données permettant la communication doivent être admis et même encouragés », et « des dispositions doivent être prises à bref délai pour que chaque établissement assure depuis ces locaux le lien avec les services en ligne (« internet »), l’administration pouvant se réserver de rendre impossible l’accès à certains d’entre eux […] de manière contrôlable et identifiée ».
La mise en place d’un accès à internet dans les prisons permettra, en encadrant son fonctionnement et son contrôle, de renforcer la sécurité en limitant les contournements en recrudescence dans nombre de ces lieux, au premier rang desquels figurent l’introduction et l’usage illicite de terminaux connectés, qui échappent par essence à tout contrôle. Le CGLPL recommande donc, en sus d’un accès, éventuellement accompagné, en salles communes, que l’infrastructure mise en place pour le projet NED, aménage un accès réel, direct, individualisé et contrôlé aux services en ligne en cellule.
Les techniques de filtrage des communications en ligne permettent aujourd’hui de proposer aux personnes détenues des accès différenciés adaptés à la fois à des besoins généraux d’information et de communication et à des besoins plus individualisés, par exemple pour la réalisation de démarches administratives ou le suivi de formations.
Ainsi, il est recommandé que chaque personne détenue puisse disposer d’un accès à des sites d’information de toute nature, dont les fonctions interactives auront été préalablement inhibées dans des conditions comparables à celles qui prévalent pour l’accès à la presse et à la documentation.
Il est également recommandé que chaque personne détenue ait accès à un système de messagerie fermé accessible uniquement par les correspondants autorisés par le juge ou par l’administration pénitentiaire, avec un contrôle comparable à celui qui est exercé sur le courrier échangé sur papier, ainsi qu’à un système de vidéocommunications contrôlé dans les mêmes conditions que l’est aujourd’hui le téléphone.
Enfin, pour les personnes détenues dont la situation ou les projets le justifient, il est recommandé qu’un accès contrôlé, incluant les fonctions interactives, soit mis en place vers les sites de services (formalités, enseignement, etc.) par décisions individuelles.
Les mineurs, qu’ils soient placés en centre éducatif fermé (CEF), dans un quartier dédié aux mineurs d’un établissement pénitentiaire, en établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) ou encore dans des centres hospitaliers, conservent quant à eux leur droit à l’éducation, qui implique, conformément à l’article L. 312-9 du code de l’éducation (19), « la formation à l’utilisation responsable des outils et des ressources numériques ». L’annexe au code de l’éducation inclut, dans « le socle commun de connaissances, de compétences et de culture couvr[ant] la période de la scolarité obligatoire », la compréhension des langages informatiques, la recherche et le traitement de l’information ou encore la mobilisation des outils numériques pour échanger et communiquer.
Il ressort des visites effectuées par le CGLPL dans les CEF que la plupart de ces établissements dispensent, dans le cadre des activités scolaires ou du suivi de formations professionnelles, des initiations à l’informatique (notamment par la préparation du brevet informatique et internet – B2i), ou garantissent un accès à la recherche en ligne à visée professionnelle, culturelle ou récréative, le plus souvent encadré par des enseignants ou des éducateurs. Certains CEF ne sont cependant toujours pas dotés d’équipement informatique ou interdisent tout accès à internet. Dans les centres hospitaliers, certaines unités pour mineurs organisent un accès contrôlé à internet dans le cadre d’enseignements, d’activités thérapeutiques ou de moments récréatifs ponctuels et individualisés, mais cet accès est inexistant dans de nombreuses unités pédopsychiatriques. Dans les établissements pénitentiaires hébergeant des mineurs, l’accès à internet est prohibé (20).
La protection des mineurs justifie le fait que l’accès aux services en ligne puisse faire l’objet d’un contrôle et d’un encadrement qui doit se faire par le truchement d’un accompagnement, d’une sensibilisation et d’une formation à l’outil informatique et à internet. L’article L. 121-1 du code de l’éducation souligne à cet effet que les mineurs doivent être formés « à la responsabilité civique, y compris dans l’utilisation d’internet et des services de communication au public en ligne ». Or, la prohibition pure et simple de l’accès à internet dans des lieux où des mineurs peuvent séjourner plusieurs mois, voire plusieurs années, contrevient à cet objectif.
A ce titre, le CGLPL recommande que l’ensemble des lieux de privation de liberté soit en mesure d’assurer un enseignement au numérique et à internet aux mineurs privés de liberté.
- Un accès à internet complémentaire et non exclusif des relations humaines
Le CGLPL considère cependant que le développement du numérique dans les lieux de privation de liberté, que ce soit par la dématérialisation de processus de gestion interne (formulation de requêtes, consultation de documents, etc.), par la mise à disposition de terminaux ou l’accès à des équipements individuels connectés à internet en vue de communiquer avec l’extérieur, d’effectuer des recherches ou des démarches, de se former, de s’informer ou d’accéder à des contenus culturels, doit être encadré par diverses garanties.
L’usage du numérique ne doit jamais se substituer totalement aux interactions humaines. Une personne privée de liberté doit toujours être en mesure de choisir d’effectuer l’ensemble ou certaines de ses démarches sans avoir recours aux outils numériques ou aux services en ligne. Elle doit pouvoir être accompagnée et formée par la mise en place, en nombre et durée suffisants, d’apprentissages adaptés à ses besoins et à son profil (compétences, âge, handicap, etc.). Enfin, tout processus de dématérialisation interne ou externe doit s’ajouter aux modalités existantes ou laisser l’espace à des alternatives qui ne nécessitent pas la maîtrise du numérique (requêtes écrites ou orales, entretiens en présentiel, appels téléphoniques, remise de documents, etc.).
Les solutions mises en place pour améliorer l’accès aux droits par le biais d’internet et du numérique ne doivent pas entrainer une détérioration des services existants ou leur suppression (par exemple, le contact avec des tiers par des systèmes d’appels vidéo ne doit pas entraîner la disparition des parloirs ou des salles dédiées aux échanges physiques). Le recours accru à internet ne doit pas exonérer les administrations de leur obligation d’assurer une bonne prise en charge des personnes privées de liberté dans tous ses aspects (droits sociaux, enseignement, formation, etc.) et de prévenir tout risque d’isolement ou de repli sur soi que pourrait entraîner la mise en place de processus de dématérialisation en chambre ou en cellule.
Le contrôle de l’administration sur l’activité numérique et en ligne des personnes privées de liberté et le contenu des documents concernés ne saurait excéder celui qui s’exerce d’ores-et-déjà sur les correspondances écrites et les autres modalités d’échanges avec l’extérieur. En effet, le contrôle des activités ou des données doit être strictement limité aux objectifs visés et au profil des utilisateurs ; il doit donc être justifié, individualisé et tracé. Le droit à la vie privée (dont découle le droit à la protection des données personnelles) et la liberté d’expression et d’opinion doivent être préservés. Leur exercice ne peut être limité que par des nécessités individualisées de sécurité, d’ordre public ou de protection des mineurs au sein des établissements concernés.
(1) Conseil constitutionnel, décision n° 2009-580 du 10 juin 2009.
(2) CEDH, 18 juin 2019, Mehmet Reşit Arslan et Orhan Bingöl c. Turquie, req. n° 47121/06, 13988/07 et 34750/07.
(3) « Le service public pénitentiaire participe à l’exécution des décisions pénales. Il contribue à l’insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire, à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et des droits des personnes détenues. Il est organisé de manière à assurer l’individualisation et l’aménagement des peines des personnes condamnées. »
(4) CEDH, 19 janvier 2016, Kalda c. Estonie, req. n° 17429/10 ; CEDH, 17 janvier 2017, Jankovskis c. Lituanie, req. n° 21575/08 ; CEDH, 18 juin 2019, Mehmet Reşit Arslan et Orhan Bingöl c. Turquie, n° 47121/06, 13988/07 et 34750/07.
(5) « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
- a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
- b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;
- c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
- d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;
- e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;
- f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »
(6) Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
(7) L’article L. 103 du code des postes et des communications électroniques issu de l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018 définit le service de coffre-fort numérique dont les modalités de mise en œuvre et de certification par l’Etat ont été précisées par les décret n° 2018-418 du 30 mai 2018 relatif aux modalités de mise en œuvre du service de coffre-fort numérique et n° 2018-853 du 5 octobre 2018 relatif aux conditions de récupération des documents et données stockés par un service de coffre-fort numérique. Il s’agit d’un espace de stockage sécurisé en ligne pour conserver des fichiers numériques sensibles, tels que des documents administratifs, des factures, des contrats, etc.
(8) Les démarches à accomplir pour obtenir un certificat d’immatriculation (carte grise), un permis de conduire ou encore un titre de séjour sont d’ores-et-déjà intégralement dématérialisées.
(9) D’après le modèle annexé à l’arrêté du 2 mai 2006 pris en application de l’article 4 du décret n° 2005-617 du 30 mai 2005 relatif à la rétention administrative et aux zones d’attente pris en application des articles L. 111-9, L. 551-2, L. 553-6 et L. 821-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
(10) Circulaire du ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire (NOR : IMIM10000105C).
(11) En réponse aux avis et recommandations émis par le CGLPL de 2008 à 2015, le ministre de l’intérieur indique, dans un courrier daté du 6 octobre 2018, que « les appareils munis d’un appareil photographique numérique sont cependant retirés, compte tenu des dispositions du code civil et du code de procédure pénale relatives à la protection du droit à l’image ».
(12) L’utilisation d’internet dans les prisons étrangères (à tout le moins dans certaines prisons des pays cités) qui en aménagent l’accès (à titre expérimental ou généralisé) vise, le plus souvent, à permettre aux personnes détenues de communiquer avec leurs proches par le biais de messageries électroniques (Etats-Unis) ou de services de vidéoconférence sous surveillance (Etats-Unis, Italie, Norvège, Roumanie), de se former par l’accès à des cours d’apprentissage à distance (Allemagne, Belgique, Canada, Estonie, Italie, Lituanie, Malaisie, Royaume-Uni, Suède), de s’informer par l’accès à une liste plus ou moins restreinte de sites et de services en ligne aux interactions parfois limitées (Australie, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Guatemala, Mexique, Norvège, Philippines, Pologne, Royaume-Uni, Suisse, Ukraine, Uruguay), en salles dédiées, en classe ou en cellule. L’énumération de ces pays est donnée à titre d’exemples et ne se veut pas exhaustive.
(13) Circulaire du 13 octobre 2009 (NOR : JUSK0940021C).
(14) Décret n° 2010-1635 du 23 décembre 2010 portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le code de procédure pénale (troisième partie : décrets).
(15) Le quartier « femmes » du centre pénitentiaire de Marseille – les Baumettes, le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, la maison d’arrêt d’Amiens, la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, le centre pénitentiaire de Metz-Queuleu, l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Lavaur, le quartier « centre de détention » du centre pénitentiaire pour femmes de Rennes.
(16) Lors de la visite du CP de Bordeaux-Gradignan en juillet 2018, la Cyber-base n’existait plus. A la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, en mai 2017, il était relevé que le système, devenant obsolète, présentait un nombre croissant de dysfonctionnements. Au centre pénitentiaire de Metz, visité en février 2014, la Cyber-base souffrait d’une absence de mise à jour des logiciels et des navigateurs. Les nombreuses difficultés techniques rencontrées par le coordinateur avaient fait l’objet de comptes-rendus communs à toutes les Cyber-bases. Enfin, au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, contrôlé en juillet 2015, il était signalé que la Cyber-base était en arrêt pour des raisons techniques depuis mars 2015.
(17) Note DAP du 4 mars 2009 relative à l’installation d’espaces Cyber-base Justice sur la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan et le centre pénitentiaire de Marseille.
(18) Convention de délégation de gestion du 11 décembre 2018 entre les ministères de l’action et des comptes publics et de la justice (NOR : JUST1904103X).
(19) Article L. 312-9 du code de l’éducation : « la formation à l’utilisation responsable des outils et des ressources numériques est dispensée dans les écoles et les établissements d’enseignement, y compris agricoles, ainsi que dans les unités d’enseignement des établissements et services médico-sociaux et des établissements de santé. Elle comporte une éducation aux droits et devoirs liés à l’usage de l’internet et des réseaux, dont la protection de la vie privée et le respect de la propriété intellectuelle, de la liberté d’opinion et de la dignité de la personne humaine, ainsi qu’aux règles applicables aux traitements de données à caractère personnel. Elle contribue au développement de l’esprit critique et à l’apprentissage de la citoyenneté numérique.
Cette formation comporte également une sensibilisation sur l’interdiction du harcèlement commis dans l’espace numérique, la manière de s’en protéger et les sanctions encourues en la matière. »
(20) Seuls les mineurs de l’EPM de Lavaur et les mineures du centre pénitentiaire de Marseille – les Baumettes ont accès à une Cyber-base justice, permettant un accès à internet restreint et contrôlé. La Cyber-base du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, établissement qui dispose d’un quartier « mineurs », n’était plus en fonctionnement lors de la visite de l’établissement en juillet 2018.
Valériane DUJARDIN – LASCAUX
Juriste, EPSM Lille Métropole